La Séquestrée de Poitiers
Une affaire judiciaire hors du commun
Si vous voulez en savoir plus sur cette
incroyable affaire...
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Les faits : une séquestration de 25 ans !
Fin 1901, le Procureur de la République de Poitiers reçut la lettre
anonyme suivante :
Monsieur le Procureur, Je viens au
nom de plusieurs personnes indignées, vous faire une déclaration
d’une grande gravité. Il existe dans une maison au 21 rue de la
Visitation, une vieille dame Monnier, qui habite avec sa fille
qu’elle tient séquestrée depuis 25 ans. La fenêtre est cadenassée…
La malheureuse est toujours nue et d’une malpropreté repoussante. Au
nom de l’humanité, je viens vous prier d’user de vos droits. Si vous
refusez, je m’adresserai au ministère de la justice… Un bon citoyen
indigné.
Le procureur diligenta sur les lieux le commissaire Central. Lorsque
le commissaire Bucheton ouvrit la porte de cette chambre, il ne
distingua d’abord presque rien, une obscurité presque complète y
régnant.
« Une odeur infecte,
indéfinissable, inimaginable, se répandait dans le réduit, dont la
fenêtre était close et les persiennes cadenassées… Dans un coin se
trouvaient des gravats, une paillasse pourrie. Là, sur une toile
cirée, reposait un être humain réduit à l’état de bête sauvage. Une
femme était là, se cachant sous une couverture, poussant des
gémissements inarticulés. La malheureuse était entièrement nue. Sa
maigreur était telle qu’on eût dit un squelette : les cuisses
étaient de la grosseur du poignet d’une personne ordinaire, les bras
comme le goulot d’une bouteille ; les doigts avaient le volume d’un
crayon, et au bout des ongles d’une longueur démesurée. Quant à la
figure, c’était à faire frémir… Les cheveux, mêlés depuis tant
d’années, formaient une natte indescriptible tombant jusqu’aux
hanches, formée par les cheveux emmêlés, c’était une pâte infecte,
cirée comme à l’encaustique par les immondices, où grouillaient des
générations d’insectes et d’où sortaient des cafards. Autour de
l’infortunée ce n’était que pourriture. Elle était couchée sur une
sorte de croûte, de pâte, formée par ses excréments, ses déjections,
des débris de viande, de pain en putréfaction, entassés là depuis
des années ; autour de cela des vers énormes rampaient, des rats, de
la vermine de toute sorte… Sur le corps de la séquestrée des vers
couraient également ».
Sa mère et son frère furent aussitôt arrêtés. Les faits étaient
clairs, il fallait juger l’innommable.
La défense : la réclusion « volontaire »,
l’anorexie.
En face, les accusés sont de riches notables. Ils vont bénéficier
d’une défense de premier plan et de nombreux soutiens. Ils sont
politiquement très marqués comme royalistes. À un moment où les
puissants monarchistes menacent encore la République, l’affaire prend
une tournure très politique : royalistes contre républicains. Pour les
royalistes, il est hors de question que cette famille soit éclaboussée
par ce scandale. Tous les coups seront permis. La mère meurt d’une
crise cardiaque peu après son incarcération à la prison de Poitiers.
Elle échappera ainsi au jugement.
Reste le fils, un sous-préfet, docteur en Droit... Son avocat va
dérouler la défense classique utilisée dans les cas de séquestration
déjà jugés : la victime était folle au moment de son incarcération.
Pour le démontrer, il se fait aider par des médecins et se plonge dans
les ouvrages des meilleurs psychiatres de l’époque. Il note
scrupuleusement les symptômes de différents troubles psychiques,
particulièrement d’une maladie mentale qu’on nommait à l’époque
monomanie hystérique. Les faits sont très anciens, 25 ans ! Dans la
ville, très peu se souviennent de cette timide jeune fille, très
réservée. On se souvient juste qu’elle avait fréquenté un avocat
républicain, un ennemi de la famille… L’avocat de Monnier, le frère de
la séquestrée, lui, n’a cure de ces mémoires défaillantes. Il va se
constituer une armée de témoins, tous amis de la famille ou
politiquement très engagés comme royalistes ou à l’extrême droite.
Chacun va être chargé de débiter un ou plusieurs symptômes de la
soi-disant maladie mentale ayant affecté Blanche avant son
incarcération. Blanche sera ainsi accusée de s’être montrée nue à la
fenêtre de sa chambre (une bonne raison de la cadenasser…), d’avoir
refusé de s’alimenter (d’où sa maigreur)…
Pour le frère, la défense va faire encore preuve de plus
d’imagination. Comment expliquer que le sous-préfet, qui prétendait
rendre visite presque tous les jours à sa mère, n’ait pas remarqué les
conditions plus que déplorables dans lesquelles on maintenait sa sœur
? Un médecin qui assiste l’avocat va sortir du chapeau une maladie
rarissime : le crétinisme intellectuel. Il ne sentait pas les odeurs,
entendait à peine, en plus il était myope, il ne se rendait compte de
rien. Là aussi, l’avocat fera intervenir des témoins complaisants qui
certifieront que le frère n’avait ni ouïe, ni odorat, ni goût, au
point qu’il mangeait les cafards qui couraient sur les murs… Un
témoin, très joueur, certifiera même qu’il lui avait fait manger des
excréments sans qu’il s’en rende compte… Le portrait qu’ils en font
est celui d’un parfait crétin, un idiot du village. Ils décrivent un
bien étrange docteur en Droit… Me Barbier ira même jusqu'à affirmer
que Marcel Monnier ne possédait qu'« un dizième de facultés
supérieures ! »
Tout cela n’est pas crédible. La seule contestation des faits est
politique, menée par les journaux royalistes qui refusent cette mise
en accusation d’un membre de leur caste. À l’époque, tous ceux qui ont
étudié le dossier n’ont aucun doute sur les faits. André Gide, vingt
ans plus tard, relatera le procès de façon fidèle. Il n’a aucun doute
sur l’abomination des faits.
Les témoins « dignes de confiance » de la
défense
En 1901, au moment où éclate l’affaire de la séquestrée de Poitiers,
l’intellectuel Georges Vacher de Lapouge dirige la bibliothèque de
l’université de Poitiers. Il y restera jusqu’en 1922.
Georges Vacher de Lapouge prend fait et cause pour les
parents de Blanche et calomnie tant et plus la séquestrée.
Georges Vacher de Lapouge était partisan des thèses racistes de
Gobineau. Il militait pour la victoire des aryens sur les juifs. Il
répétait « Le juif est le seul concurrent dangereux pour l’aryen »
dans son cours
L’Aryen, son rôle
social. Il a inspiré Hitler.
Antisémite, il haïssait Dreyfus.
Aujourd’hui, Georges Vacher de Lapouge a encore à Poitiers des
admirateurs, qui continuent de répandre ses propos immondes sur
Blanche Monnier.
L’arrêt de la Séquestrée de Poitiers et
l’évolution du droit pénal
Premier jugement
Marcel Monnier fut traduit devant le tribunal correctionnel de
Poitiers le 7 octobre 1901. Il n’était pas accusé directement de la
séquestration, les coupables étaient morts, mais de violence et voies
de fait. De ce fait, il évitait les assises et on allait juger que les
3 dernières années de la séquestration de Blanche.
Près de cent témoins vinrent à la barre. Le procès passionna Poitiers
et la France entière.
Pour faire innocenter son client, Me Barbier n’hésita pas à plaider
que son client était un parfait crétin ne possédant qu’un dixième de
vue, un dixième d’odorat, et un dixième de facultés supérieures. Drôle
de portrait d’un docteur en droit et ancien sous-préfet ! Ceci en dit
long sur les arguments de la défense et son cortège de témoins «
dignes de foi » qui récitèrent une litanie de clichés pour essayer de
faire croire que Blanche était folle
avant
sa séquestration.
Les juges ne suivirent pas la défense. Ils conclurent à la culpabilité
du fils. Ils lui accordèrent toutefois les circonstances atténuantes
en raison du caractère autoritaire de sa mère. Marcel Monnier fut
condamné à 15 mois de prison. Il fit aussitôt appel. Lui et son avocat
savaient qu’il n’existait pas de texte de loi qui pouvait légalement
le condamner. Le tribunal l’ayant, faute de preuves, exonéré des
violences directes contre sa sœur, il n’était de fait que complice.
L’arrêt en appel du tribunal correctionnel du 20
novembre 1901
Cet arrêt est célèbre en raison de l’indignation qu’il produisit.
Comme le fin juriste Marcel Monnier l’avait prévu – le thème de sa
thèse de droit était « La complicité » – il fut acquitté. Comme rien
ne prouvait qu’il avait participé à la séquestration, son père et sa
mère « semblaient seuls responsables », il n’existait aucun texte de
loi qui permettait de le juger.
Les juges de Poitiers durent se résoudre à appliquer la loi. Non sans
condamner violemment le comportement du frère :
«… malgré ses infirmités, d’ailleurs partielles, il n’est pas permis
de croire que Marcel Monnier ait ignoré l’état lamentable dans lequel
se trouvait sa sœur, et que le rôle purement passif auquel il a cru
devoir se résigner ainsi que sa froide impassibilité, qui ne lui a
inspiré aucune démarche efficace, méritent le blâme le plus sévère ;
que sa conduite ne tombant pas, néanmoins, sous le coup de la loi
pénale à laquelle les juges ne sauraient suppléer, il y a lieu pour la
Cour de prononcer son acquittement. »
Cette décision de la Cour d’appel de Poitiers ayant été perçue comme
choquante et scandaleuse par de nombreux juristes, une évolution du
droit pénal devenait nécessaire. Elle se prépara en 1934, 1941 et
1945, pour aboutir au délit que nous connaissons sous le nom de «
Non-assistance à personne en danger ».
Aujourd’hui, dans une telle affaire, le frère serait condamné. Le
jugement en correctionnel portant uniquement sur les trois dernières
années du délit de séquestration, il est clair que sur cette période
la santé mentale de Blanche avait basculé sous l’effet de la
maltraitance qu’elle avait subie, et elle nécessitait des soins.
Et aujourd’hui ?
Les clivages politiques sont toujours présents autour de l’affaire.
Alors qu’aucun fait nouveau n’est connu – les pièces du dossier ont
même disparu –, les écrits fleurissent pour se rendre intéressants en
défendant l’indéfendable. Comme le font les adeptes de la théorie du
complot, on met en doute les conclusions de l’époque, et on se targue
des adjectifs « véridiques », « rationnels ». On fait semblant d’être
objectif, mais on met au même niveau les faits attestés par la justice
(constatations de la police, interrogatoires du juge d’instruction …)
et les racontars soufflés par la défense.
Cela serait sans importance si cela ne salissait pas encore une fois
la seule victime de cette affaire : Blanche.
Comment aller plus loin, en savoir plus ?
Livres sur la Séquestrée de Poitiers :
On ne peut que conseiller le livre d’André Gide, « Ne jugez pas : la
Séquestrée de Poitiers » pour la partie relatant le procès.
Et surtout le roman de Viviane Janouin-Benanti « La Séquestrée de
Poitiers, une affaire criminelle sans précédent », qui sous la forme
d’un roman relate la vie de Blanche de sa naissance à sa libération.
Avec elle les faits entrent en cohérence : la romancière éclaire
l'affaire dans sa globalité avec précision et d'émotion.
Livre :
La
Séquestrée de Poitiers, une affaire judiciaire sans précédent.
Émissions de radio :
Une très belle émission animée par Jacques Pradel sur RTL :
L'heure du crime du 29 mars 2012 -
La séquestrée de Poitiers.
Invitée studio : Viviane Janouin-Benanti, juriste et écrivain,
passionnée par les histoires vraies, elle a choisi de redonner vie aux
protagonistes de grandes affaires criminelles.
Pour écouter ou réécouter l'émission :
L'heure
du crime : La séquestrée de Poitiers
Films :
Plusieurs films ont été tournés sur cette affaire, dont deux en 2015
diffusés sur France 3-MarmitaFilms (Christel Chabert) et Planète+
Justice (Patrick Schmitt).